Le développement de la personne

Le développement de la personne

Le développement de la personne – Carl Rogers

Fiche de lecture

1. Qu’est-ce que le développement de la personne ?

Le développement de la personne c’est vivre l’expérience de retour à soi. Cette expérience est une décision intérieure extrêmement personnelle pour chacun d’entre nous. La perception de l’expérience de se sentir vivant renferme des significations, des sentiments, des sensations et des saveurs propre à la sensibilité de chacun. Si les conditions du développement de la personne se trouvent réunies, le processus de retournement vers la vie en soi se révèle avec sa tendance inéluctable vers la maturation : la personne, profondément enracinée dans l’expérience d’elle-même, n’est plus séparée de sa propre nature. Le développement de la personne se créé dans le précieux de la rencontre avec l’Autre (en soi et à l’extérieur de soi). La personne à la fois s’accompagne et est accompagnée dans l’acceptation entière de qui elle est au présent. Pas à pas, elle libère son rapport au monde du poids des conditionnements. Elle porte son attention sur la réalité telle qu’elle est en elle-même. Elle est dans un état de conscience qui lui permet de discerner ce qu’elle est, ce qu’elle vit. Dans ses humbles efforts, la seule chose que la personne sait c’est qu’elle est une personne en développement, libre intérieurement de se reconnaître dans sa propre vérité et que cette vérité n’est pas transmissible. Le développement de la personne est différent selon la nature de chacun. Il a son propre rythme, son propre déploiement. Chez certaines personnes, ce développement peut ne pas arriver du tout.

2. Quelles sont les aptitudes qui transforment la personne ?

Reconnaître la ramification de la réalité

La personne perçoit la réalité en étant confrontée à la dichotomie entre ce qui est objectif et ce qui est subjectif. Même si elle ne peut les concilier complètement du fait de leurs différences, elle peut toutefois juxtaposer ces deux mondes pour une meilleure connaissance de la réalité. Ce rapprochement met en contact les deux aspects de la réalité ce qui facilite l’apaisement et favorise l’appréciation plus grande des ressources latentes internes. Ainsi la personne, par ses capacités d’adaptation à la configuration de la réalité du moment, poursuit son développement.

Reconnaître les attitudes qui empêchent le développement

En dépit d’un désir sincère de favoriser son développement, la personne est amenée à reconnaître que dans son rapport au monde, elle peut être sous l’emprise d’attitude de rejet de l’Autre, d’attitude focalisée sur les comportements de l’Autre, d’attitude de dépendance à l’Autre, d’attitude manipulatrice… Si la personne reconnaît ce qui l’inhibe, elle se libère de schèmes de pensées contraires à l’inclination naturelle de son développement.

Reconnaître les attitudes qui facilitent le développement

Les trois conditions de base sont celles qui facilitent le développement de la personne tant au niveau de sa personnalité que de son comportement. Cette croissance psycho-physique s’appuie sur :

La congruence

Ce qui permet à la personne de ne plus refouler ce qui la traverse. Elle s’accepte dans sa complexité et dans ses paradoxes. Elle éprouve ce qui se vit en elle présentement, l’exprime sans crainte et en accepte les conséquences. Elle est responsable de ce qui se passe pour elle-même.

La considération positive inconditionnelle

Ce qui permet à la personne de suspendre tout jugement et de considérer tous ses comportements comme possibilité de transformation. Elle s’accepte et s’aime sans condition. Elle s’extrait ainsi de critères moraux, éthiques ou sociaux la contraignant à agir dans un certain sens.

L’empathie

Ce qui permet à la personne d’être au contact de phénomènes vivants en présence, d’identifier avec le plus de justesse possible, les composantes émotionnelles des phénomènes, sans s’identifier à elles. La personne peut approcher et être approchée par le vécu du phénomène et sentir dans quelle direction ledit phénomène psycho-physique du moment désire se mouvoir.

Reconnaître la dynamique du changement

La dynamique du changement implique une qualité de présence qui écoute pleinement. Pour accéder au vécu de l’expérience, la personne entre dans la dynamique de vie, elle se transforme en se libérant du connu temporel, intellectuel, normatif. Elle s’ouvre au corporel, à l’infini, à l’inconnu d’elle-même. Au fur et à mesure, elle se déconditionne, elle cesse de regarder le monde à travers ce conditionnement et accède à la reconnaissance de qui elle est ici et maintenant. C’est une évolution de la psyché, une évolution intérieure.

3. Par quel processus devient-on une personne ?

L’Approche Centrée sur la Personne est le processus qui conduit la personne à sa réalité du moment. Ce processus aboutit à une compréhension des sentiments que la personne éprouve et une acceptation de qui elle est en profondeur. Elle s’appuie sur son propre lieu d’évaluation, elle accroit des analyses pénétrantes, elle acquière une maturité accrue des comportements par une attitude plus constructive. La personne change sa propre structure tant dans son comportement que dans ses réactions physiologiques.

Ce processus s’inscrit dans une démarche thérapeutique. Dans la sécurité de la relation avec un thérapeute centrée sur la personne, cette démarche permet à tout ce qui apparaît chez la personne de percer jusqu’à la conscience sans subir de déformation. La personne éprouve une affection aimante pour elle-même, une appréciation sincère d’elle-même et donc des autres. L’Approche Centrée sur la Personne est un processus par lequel la personne cesse de déformer ou du moins déformer moins, la conscience qu’elle a de ses expériences. Elle prend conscience de ce qu’elle éprouve réellement sans le faire passer par le filtre de l’idée qu’elle se fait d’elle- même. Elle en vient à être ce qu’elle est au contact de ses réactions sensorielles et viscérales. Elle est organisme psycho-physique enrichi d’une conscience au service de la vie. Au cours du processus, la personne passe par différents stades, de la fixité à la fluidité intérieure.

Le degré d’experiencing d’une personne est une donnée observable dans sa communication verbale. Voici en résumé les sept degrés de l’échelle d’experiencing :

1er degré

La personne est sur la défensive, communique sur des sujets extérieurs, des idées générales préconçues, les sentiments personnels ne sont pas reconnus.

2ème degré

La personne se sent acceptée, les sentiments s’extériorisent mais l’expression des intentions est générale et ne permet pas de savoir comment elle se sent.

3ème degré

Le discours « moi » augmente mais les sentiments sont ceux du passé et paraissent honteux ou inacceptables.

4ème degré

Les sentiments sont décrits comme des objets mais dans le présent.

5ème degré

Les sentiments sont acceptés et éprouvés plus librement dans le présent.

6ème degré

Le moi éprouve dans l’instant les sentiments sans passer par des distorsions cognitives. L’expérience devient référence consciente et acceptée.

7ème degré

La personne a maintenant intégré la notion de mouvement, de flux, de changement dans tous les aspects de sa vie psychologique.

Partant d’une expérience construite de manière rigide, selon des schèmes perçus comme des faits extérieurs, la personne tend à développer des schèmes mouvant plus lâches, modifiables avec chaque événement. De nouveaux sentiments sont éprouvés, l’expérience est utilisée comme un critère clair, aussi en dehors de la thérapie. L’acceptation de soi augmente. Confiante en son développement, la personne observe et intègre ses mouvements intérieures. Elle vit désormais sa vie comme un processus en développement. Il se produit un changement dans la relation de la personne avec ses problèmes. La personne reconnaît qu’elle est pour quelque chose dans ces problèmes, qu’ils ne sont pas entièrement d’origine extérieure. Le sentiment de responsabilité s’accroît. Le développement n’est pas linéaire.

4. Quelle est la philosophie de l’Approche Centrée sur la Personne ?

Vie et mouvement sont au cœur de l’Approche Centrée sur la Personne. Etre vraiment soi-même, qu’est-ce que cela veut dire ? Et qu’est-ce que cela implique?

La personne a besoin de se libérer de son conditionnement pour se développer

  • Des façades : la personne se dessaisit de ce qu’elle n’est pas.
  • Des « je devrais » : la personne devient ce qu’elle veut vraiment.
  • De ce qu’on attend d’elle : la personne devient responsable de sa propre espérance.
  • Du devoir de faire plaisir aux autres : la personne devient fidèle à elle-même.

La personne a pour intention de tendre vers elle-même et développer

  • La responsabilité de ses choix et leurs conséquences.
  • L’ouverture à toute son expérience instant après instant.
  • L’acceptation de la complexité de ses sentiments et de ses contradictions.
  • L’actualisation et le renouvellement de son moi.
  • L’ajustement dans son rapport aux autres.
  • La confiance en son expérience subjective et ainsi s’exprimer en « je ».

La personne a besoin d’entrer dans son expérience vitale pour développer

L’expérience de sa croissance :

C’est la possibilité de développer chez toute personne son potentiel de ressources non encore actualisé qui veut grandir.

L’expérience de sa tendance actualisante :

C’est la tendance chez toute personne à manifester ce qui ne l’est pas encore : sa pulsion de vie. Cette croissance, ce devenir ne pouvant se déployer chez certaines personnes, elles optent pour des comportements hostiles envers elles-mêmes et envers les autres. Comprendre ces comportements, c’est comprendre les tentatives que la vie cherche toujours à opérer pour son propre devenir.

L’expérience de sa tendance directionnelle :

Toute personne est traversée par la puissance du mouvement de vie à l’œuvre dans l’univers (tendance formative) et à l’œuvre en elle-même (tendance actualisante).

L’expérience de sa psychologie :

La personne est une totalité psycho-physique . Elle interagit comme un tout avec son environnement. Une réaction « organismique » est une réaction de l’organisme dans la globalité de ses aspects physiologiques, instinctifs, intuitifs et conscients. Elle est dans l’expérience de soi et non pas le savoir sur soi.

L’expérience dans sa relation aux autres :

La personne en développement est une personne qui traite autrui comme une personne, elle aussi en développement. Elle regarde autrui avec intérêt et non pas comme un problème. Elle cultive sa qualité de présence : congruence, acceptation inconditionnelle, empathie. Elle n’exerce aucune mainmise ou pouvoir sur autrui.

L’expérience dans sa relation d’aide :

Elle écoute sans jugement, interprétation, solution. Elle accompagne et catalyse le flux naturel du mouvement présent chez la personne. Elle reflète les significations ressenties,    vécues, vivantes de la personne. Elle fait des propositions, si besoin, pour aider la personne à retrouver son flux. Elle ne cherche pas à se prévaloir de la science qui ne sait rien de l’expérience personnelle intérieure de la personne.

Cette philosophie a le même sens pour une personne, un groupe, une organisation ou une nation. Cette manière d’être n’a pas pour vertu d’atteindre le nirvana mais s’appuie sur la tendance naturelle de tout être humain à se réaliser en tant que personne. Elle ne peut être réduite à une technique, à un état, à une destination. Elle est une direction perpétuellement en mouvement. Pour se développer, l’homme a besoin de sécurité et de liberté psychologiques pour apprendre à déconstruire ses représentations néfastes et à créer des représentations porteuses d’humanité.

Cette manière d’être aurait des implications significatives sur  :

L’éducation

Elle serait un apprentissage qui permettrait à la personne de s’approprier l’objet d’étude, de digérer ce savoir, de le laisser agir en elle-même et d’en extraire une expression singulière et sensible propre. Ainsi ce savoir s’incarnerait dans un déploiement créatif laissant apparaître un sens sensible inattendu. Le savoir ne serait plus fait pour être accumulé ou possédé. Le savoir serait une matière à malaxer, à s’y mêler intimement pour le faire exister au travers de sa propre personne.

La famille

Parents et enfants, maris et femmes se rapprocheraient de l’expression des sentiments qui existent vraiment en eux, plutôt que de cacher leurs vrais sentiments.

La communication

Les personnes accueilleraient leurs souffrances et les parties d’elles-mêmes refoulées. Elles se libèreraient des troubles nichés dans la communication.

Le processus de création

Les personnes se videraient intérieurement de leurs champs habituels de conscience et de ses influences (dogmatisme, conformisme de pensée, conditionnement, préoccupation). Elles seraient pleinement ouvertes à leurs expériences à partir de leurs centres d’évaluation interne, dans une agilité d’esprit capable de jouer avec les éléments et les concepts.

5. Le choix pour notre humanité

Le développement des sciences du comportement peuvent être employées pour contrôler et aliéner les personnalités ou bien rehausser la valeur des personnes. Tel est le choix de l’éventail:

  • Soit notre humanité utilise ses connaissances croissantes pour nous réduire en esclavage en nous dépersonnalisant, en nous contrôlant par des moyens si minutieusement choisis que nous ne nous en apercevront pas et que nous aurons perdu notre dignité de personne.
  • Soit notre humanité utilise son savoir scientifique pour rendre les hommes nécessairement heureux, pour assurer leur bonne conduite et les rendre efficaces.
  • Soit notre humanité se sert des sciences du comportement d’une manière qui libèrera et ne contrôlera pas, qui amènera une variabilité constructive et non la conformité, qui développera l’esprit de création et non la consommation, qui aidera chaque personne dans son processus autonome de devenir, qui aidera les individus et les groupes et même la science à se transcender en des façons nouvelles de s’adapter et de faire face à la vie et à ses enjeux.

En utilisant son savoir scientifique, l’humanité peut choisir de vivre ouvertement et franchement avec le grand paradoxe des sciences du comportement.  Il n’y aurait aucun profit à nier la liberté qui existe dans notre vie subjective, pas plus que nous ne pourrions nier le déterminisme qui est évident dans la description objective de cette vie.

Nous vivons tous avec ce paradoxe. Chaque personne perçoit la réalité en étant confronté à cette dichotomie entre vie subjective et vie objective.