La présence est rencontre expérientielle

La présence est rencontre expérientielle

La présence est rencontre expérientielle

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La présence est rencontre expérientielle. C’est quelque chose qui émerge, qui me surprend dans le présent. Ce quelque chose arrive, il est là. Cette chose, c’est le sens corporel qui selon les circonstances, je le sens léger ou lourd, plein d’entrain ou sans ressort, avec un nœud à l’estomac ou une boule dans la gorge. Il me déséquilibre. Il me cause un léger heurt. C’est quelque chose de vivant, chargé de significations que j’ignore et qui cherche à s’ouvrir dans le présent. Si je ne suis pas présente à écouter ces messages, je risque de souffrir d’être absente à ma condition d’existence, à ma condition humaine.

Je réalise l’importance de la gravité de la présence. C’est en rencontrant précisément ce quelque chose qui émerge que j’entre en présence. Sans intelligence à ma nature sensible qui me constitue, je ressemble à une sourde, absente de ma propre nature. Cette perte existentielle est très insécurisant. Quelque chose de vivant se perd dans les méandres de cette présence-absence. Je suis comme exilé de ma propre vie.

Certes, le présent m’échappe. Mais ce qui peut lui donner de la consistance, c’est ma présence. La présence est rencontre. La rencontre est ce surgissement. Ce surgissement, par affrontement, donne de la consistance à ma présence. Le présent est évènement qui me procure du possible changement. Bien que le présent soit pris entre le futur et le passé, il est le point de passage entre les deux. C’est là que j’entre en présence, c’est là que j’explore et écoute le sens corporel. C’est dans ce point de passage qu’il y a présent, cadeau, don d’extension. Ce don, c’est l’attention que je me donne à sentir ce qui est organiquement présent. La rencontre avec le présent organismique nécessite que je sois là, sujet attentionné. A quoi suis-je attentionnée ? Je suis attentionnée à écouter ce qui se passe à l’intérieur. Cette mélodie intérieure contient tous les sons : ceux du passé, ceux du présent et ceux à venir. Je suis dans ce mouvement entre ce qui vient de se passer, entre ce qui est et ce qui va advenir. Dans cet entre mouvant, émouvant, si je suis là attentionnée à accompagner ce qui se passe, il y a là une consistance au présent, une ouverture qui peut enfin s’évaser, qui peut enfin se déployer.

Toutefois, la rencontre nécessite que je sois sujet bienveillant dans mon rapport à ce sens corporel incongru ou inconfortable que je ne comprends pas et qui me rend visite de façon inopinée, ici et maintenant. Suis-je disponible, capable de m’adapter à ce qui vient me chercher n’importe quand ? Dans l’absolu oui et je peux aussi et surtout m’aménager des espaces propices pour lire ce courrier bien spécial. C’est quand ma présence est dégagée de toutes contraintes que cet hôte entre en présence. Quand je suis présente à la réalité de ce qui me traverse, ma présence s’active dans ce face à face, ce vis-à-vis qui va au-delà de l’image de soi. Cette image s’éprouve dans cette irruption abrupte. Quelque chose de nouveau fait évènement.

La présence, c’est quand je suis à la fois en capacité d’être témoin neutre de ce qui se passe, d’entrer en relation avec ce qui se passe et de me laisser toucher par ce qui se passe. En disant bienvenue à ce qui se passe, je me donne la capacité d’accéder à la prise de conscience, à l’immédiateté de l’esprit. Cette conscience peut jaillir sous plusieurs formes. Le discours continu me laisse dans une conscience molle alors que la métaphore, la gestuelle, la sensation, l’émotion, le sens corporel fait surgir le signifiant, le directionnel. Tout ce processus en mouvement est une présence soudaine qui fait saillie. Quelque chose est vu. Dans la rencontre expérientielle, le surgissement créé une faille inattendue. Ma présence et ma conscience se font par effraction ce qui me signale que quelque chose se meut.

C’est en revenant me chercher, me centrant sur moi-même que je retrouve la présence de qui je suis. C’est quand je me décentre hors de moi-même que je me perds. Quand la présence de quelque chose est là, si je la reporte, si je la trahis, si j’évite mon urgence existentielle, si je ne fais pas face au présent de la rencontre, je perds mon vivant dans un pseudo-présent qui à la longue me fige. C’est bien en me frottant à ce qui veut émerger qu’un effet de conscience peut m’éclairer. Je ne peux pas forcer la présence, je ne peux pas l’influencer à être ce qu’elle n’est pas, je ne peux pas la capturer. Je peux juste l’accueillir et l’accepter telle qu’elle est dans sa subtilité. Ce quelque chose en me traversant, me fissure pour laisser émerger quelque chose d’autre.

La rencontre n’est pas prédictible, ne peut pas être anticipée. Je ne sais jamais comment la rencontre va se passer. J’accepte que la rencontre c’est du contre. Elle est tension, fente vers un vide qui ouvre des possibles et permet du nouveau en chantier. C’est quand j’honore tout ce que je suis, sans rien renier, que je suis bien vivante. C’est en me frottant à ma lampe, que le génie de la vie reprend son pouvoir. La présence est ce qui vient me chercher dans un présent qui m’échappe. La qualité de ma présence provient de mon attention au surgissement de la vie, d’accueillir sans conditions tout ce qu’elle veut et d’accepter sa mise en perspective. Je sens que ma présence s’absente par moment pour mieux entendre le lointain dans le proche et revenir comme une sailli de lumière dans l’obscurité. Ma présence expérientielle est impermanence puisqu’elle est surgissement. Ma présence expérientielle est par nature intermittente, discontinue, localisée, singulière, incarnée. Je suis comme tous les artistes, une intermittente du spectacle de ma propre vie. Quelquefois, il y a surgissement de quelque chose ou bien il n’y a pas.

Agnès Besson

Est beau tout ce qui s’éloigne de nous après nous avoir frôlés.
Est beau le déséquilibre profond – le manque d’aplomb et de voix – que cause en nous ce léger heurt d’une aile blanche.
La beauté est l’ensemble de ces choses qui nous traversent et nous ignorent, aggravant soudain la légèreté de vivre.
Christian Bobin